samedi 28 novembre 2009

UN DEMI- SIECLE APRES


C’est avec quelque émotion que je me joins à la visite organisée par l’association « Entreprises et patrimoine industriel ». Il fait beau cet après-midi d’automne, et le rendez-vous donné dans la rue de la Cale Crucy a attiré de nombreux nantais, curieux de faire revivre dans leur imagination la vie industrielle de ce vieux quartier nantais du Bas Chantenay.



Cale Crucy ! Voilà un lieu qui parle à ma mémoire : n’est-ce pas ici, il y a bien des années, que débarquait du « Roquiot » un jeune homme de dix-neuf ans pour sa première journée de travail ?

Nous y sommes de nouveau, mais il n’y a plus d’embarcadère. D’ailleurs, à quoi bon desservir un quartier qui a aussi peu de tissu industriel ? Il est vrai également, en 2009, qu’il y a des ponts, des routes, des transports en commun, et aussi énormément de voitures. Je suis accompagné de mon épouse, Anne, qui découvre ce quartier perdu que nous avions cependant souvent observé de l’autre rive. Nous écoutons attentivement l’histoire de la construction navale à Nantes relatée par un orateur talentueux et convaincant. Histoire complètement intégrée à celle  de la ville, et qu’il est bon de temps à autre de se rappeler par-delà les nefs, l’éléphant et autres animations parfois bien agréables.

Petit parcours historique du quartier, commenté également par deux anciens ouvriers de Dubigeon, puisque c’est bien de ce chantier qu’il s’agit.

En montant la rue, première halte : une grille fermée. Derrière celle-ci, des bureaux : ceux des Chantiers établis là devant un grand sleepway qui servait autrefois à remonter sur une pente les navires en carénage.

Aujourd’hui, ironie du sort, se trouvent à cet emplacement les bureaux de « Pôle Emploi ». Il est vrai que ce quartier industriel a été démantelé dans les années soixante-soixante-dix. La tâche est rude : Dubigeon, la raffinerie de Chantenay, les conserves Amieux, la brasserie de La Meuse… tous disparus.

Nous verrons plus loin, à travers d’autres grilles, des hangars industriels qui survivent sur le site. Nous ne pourrons y entrer pour admirer les deux cales qui subsistent. C’est là que se construisaient les sous-marins devenus la spécialité de Dubigeon.

Nous ne verrons pas non plus la grande salle de traçage, située au deuxième étage d’un bâtiment existant encore entre les deux cales.

 Il faut sauver la salle de traçage, et son immense plancher où les plans étaient transformés  en gabarits. Elle reste unique en France » nous informe notre guide. Mais qui va la sauver ?

Face à toutes ces grilles fermées, quels vestiges allons-nous voir, toucher, photographier ?

Grille suivante : l’ancienne entrée, celle que j’empruntais chaque jour : fermée elle aussi. On y retrouve les anciens vestiaires, pour partie entretenus et réservés à d’autres usages qu’à l’accueil des ouvriers. Plus de poste de gardiennage, mais enfin, là, je commence à me situer. Malgré tout, je suis las de ne voir que des prtes fermées. La leçon d’histoire était intéressante, mais nous ne  sommes pas venus pour voir des murs d’enceintes et des portails clos.

Un peu tristes et déçus, nous commençons à envisager le pire : un parcours touristique dans ce vieux quartier où ne subsistent que quelques entrepôts et bistrots pour la plupart fermés en cet après-midi dominical.

Suis-je donc si vieux, que je ne puis situer ce petit café-restau où nous tapions le carton le midi ? Plus de souvenirs, a-t-il été sacrifié à la circulation automobile, est-ce cet emplacement servant de parking ?

Qu’importe, nos accompagnateurs nous annoncent l’ouverture des grilles suivantes, celles  de ce petit chantier qui occupe la moitié des anciens chantiers Dubigeon.

Bravo ! Place à la visite, aux souvenirs, à la nostalgie peut-être, nostalgie d’une jeunesse disparue et d’un lieu de vie et de paix que je vais redécouvrir.

Une bonne centaine de visiteurs se presse à l’entrée. Sans hâte, nous avançons. Voilà. Il est là ce château d’eau, je l’avais oublié  dans le paysage. Ce fut le point de rassemblement lors des prises de paroles des délégués syndicaux. Le guide nous dit : « C’est là-haut, sur la plate-forme, que les tribuns syndicaux haranguaient la foule ». C’est du moins ce que rapporte l’histoire, mais ce château d’eau était tout simplement un point de ralliement.

Chaque entreprise avait son lieu de rassemblement, il en est ainsi du blockhaus des Chantiers Nantais.

Au pied de cette construction, j’observe le vieillissement de l’ouvrage : du béton, des échelles, des tuyauteries. Il est vrai qu’il est inutilisé depuis si longtemps ! Il servait à stocker l’eau de la Loire pour l’usage des vestiaires. La légende dit aussi qu’en période de remontée des civelles en Loire à la saison, il en sortait au robinet.


Le paysage qui s’offre à nous est triste à en pleurer… Alors pleurons sur cet amas de bateaux de plaisance stockés là en vue d’hypothétiques restaurations ou entretien.


Sur cet amas de ferraille, de réservoirs, de palettes, de bobines, de remorques et de vieux bâtiments délabrés, voire dangereux. Une friche industrielle dont nous allons explorer tous les recoins pour essayer de retrouver le fil de cette histoire de jeunesse.

D’abord les cales… celles qui m’avaient si fortement impressionnées lors de mon premier jour de travail, avec les étraves pointées vers le ciel.

La cale numéro 1 a été frangée pour permettre le passage vers le terre-plein qui la longe, près de la cale numéro 2. Seule reste donc sa partie haute, surmontée de grillage, de ferrailles et d’herbes folles. Mais où est donc la cale numéro 2, celle où a été construit le fameux voilier « Bélem » ? « Ne cherchez pas, elle a été comblée, nous dit un habitué des lieux ». Un comble ! Tout est arasé…

Parmi tous ces bâtiments, dont certains sont si vétustes, je ne parviens pas à identifier lequel était mon atelier. C’est là-bas, au premier étage, m’indique un de nos guides, qui a longuement travaillé sur les lieux. Effectivement, nous étions  sous les toits, mais il ne faisait pas plus froid ici qu’à bord.



Dans cette zone, un repère : la grande grue « Paris »
 Construite en 1950 par les établissements Paris à Chantenay. Ils sont toujours en activité., elle veille sur toute cette friche. C’est une grande dame, presque sexagénaire. Cependant, elle est très marquée par les ans, car on a cessé d’en prendre soin et de l’entretenir.


Alors elle se meure. Il est plus que temps de la requinquer :
 Il faut sauver la grue Paris de toute urgence.

Au pied de cette grande bestiole que seuls peuvent admirer les habitants de Trentemoult sur l’autre rive, loin du groupe de visiteurs, j’erre à la recherche de souvenirs. Ah oui, le quai d’armement est au pied de cette grue. D’ailleurs, on y retrouve encore les canalisations d’air comprimé toutes rouillées où nous venions brancher nos « boyaux ». Il me semble aussi encore entendre l’avertisseur qui tintait en accompagnant les déplacements de la grue et les ordres criés au grutier perché tout là-haut dans sa cabine, ainsi que les bruits caractéristiques d’un chantier en activité. Mais non, tu rêves, il n’y a plus rien ! Des détritus, des ferrailles, des herbes folles… ne subsiste que cet immense dépotoir qui a été laissé là par des gens insouciants et désordonnés.

Mais avançons encore… La visite solitaire se poursuit, vers ce bout de quai tant de fois parcouru. Là, c’était le domaine des petits navires et des sous-marins : les cales numéro 3 et 4
 L’une de ces cales sera couverte par un grand bâtiment qui sera transféré plus tard sur une des cales du Chantier de la Loire. sont intactes. Seulement envahies par la vase du fleuve qui a apporté des arbres et une végétation aquatique. Surprise d’y découvrir, échoué, l’embarcadère de la rue de la Cale Crucy : une pièce de musée abandonnée là, au pied du bâtiment de la salle de traçage.




Il faut sauver l’embarcadère des Roquiots.






Voilà, c’est la fin de la visite. Après quelque errance sur ces lieux de souvenir,nous revenons à la réalité.
   La soirée est belle, le courant de flot de la Loire montante est puissant au pied de la vieille grue.


La volonté des Nantais sera-t-elle assez puissante, elle, pour sauver ce patrimoine de la folie des hommes et de leur besoin de bâtir ?





Je ne peux refermer cette page de souvenirs sans évoquer ce couplet de la chanson d’Aznavour : La Bohême




" Quand au hasard des jours
Je m'en vais faire un tour
A mon ancienne adresse
Je ne reconnais plus
Ni les murs, ni les rues
Qui ont vu ma jeunesse
En haut d'un escalier
Je cherche l'atelier
Dont plus rien ne subsiste
Dans son nouveau décor
Montmartre semble triste
Et les lilas sont morts".       
             

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                        Jean-Claude DOUSSIN, le 18 octobre 2009

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