mardi 17 novembre 2009

Lancement




Ces années 1950/ 1960:


Le port, encore bien actif, génère une animation importante : Sept-mille personnes travaillent sur le site des trois chantiers nantais en 1959. Un lancement n’y est pas un spectacle banal. Il est attendu. Celui-ci est d’autant plus important qu’on procède très peu de cette façon aujourd’hui pour mettre un navire en contact avec son élément.

Un peu de technique.

Les navires construits de nos jours sont de taille impressionnante pour la plupart. Destinés au transport de pétrole de gaz liquéfié de containers...Ce sont aussi parfois de véritables villes flottantes qui emmènent les touristes sur les mers lointaines !
Leur taille est parfois colossale et leur construction nécessite de puissants moyens humains et matériels. Réalisés en tronçons préfabriqués, ils sont assemblés dans de grands bassins, ou cales sèches. Ces bassins, alors à sec, servent d’aire de construction (voire de carénage). Leurs dimensions limitent parfois la longueur des bateaux à réaliser. Cette construction achevée, le bassin est mis en eau puis la porte de fermeture ouverte.
Les navires d’hier, comme ceux que l’on a construits si longtemps à Nantes, sont alors assemblés sur des plans de travail inclinés. On retrouve aujourd’hui, sur le site des anciens Chantiers ces « cales » dites de lancement.
Pour la mise à l’eau du bateau, il ne « reste plus » qu’à le faire glisser sur cette cale à la rencontre du fleuve.

C’est une opération risquée, délicate et spectaculaire, qu’il faut préparer avec soin. Toute l’expérience des ouvriers et la confiance qu’on leur accorde sont nécessaires pour la réussite d’une telle mise à l’eau. L’opération lancée, on ne peut plus la stopper….

Pour ce faire le bateau repose sur jeu de bonnes grosses glissières en bois, superposées et graissées avec du suif,. Une, très longue et allant jusqu’à l’eau, est solidaire de la cale restera en place. L’autre, sur laquelle repose le navire, est reliée à la cale par une plaque de tôle. Un simple coup de chalumeau pour la découper libérera sa précieuse charge sur la pente.
Il est bien évident qu’à ce moment, aucune influence néfaste due aux courants de marées ne doit venir dévier la trajectoire. L’étale de pleine mer donne donc l’heure précise du lancement. L’histoire nantaise retient quelques accidents : des bateaux sont venus heurter les quais face aux chantiers sans jamais causer de dégâts importants ni blesser des spectateurs trop proches.
Le freinage est de ce fait, le système le plus délicat à mettre en oeuvre. Il doit ralentir en douceur, sans dévier la trajectoire rectiligne du bateau durant sa descente, sinon… Pour cela, une paire de grosses chaînes situées de chaque côté du navire le relie à la terre ferme. Elles s’allongent au fur et à mesure de la descente en cassant les cordages qui l’ont raccourci en créant des boucles sur celle-ci.

Au fil du temps, les navires seront construits de plus en plus grands et lourds (plusieurs milliers de tonnes), et la largeur du fleuve à cet endroit n’ayant pas variée ; lors des lancements, les risques pris seront donc plus grands. De ce fait, certaines cales que l’on peut voir encore à proximité de la grande grue jaune sont orientées de biais par rapport à la
LOIRE dans la courbe du fleuve : la distance jusqu’au quai opposé est ainsi plus grande.







Souvenirs Souvenirs

Pour nous, employés du chantier, un lancement, c’est un petit plus dans notre vie au travail. En cadeau: le temps nécessaire pour assister au spectacle et, cerise sur le gâteau, une prime accordée pour l’occasion.
Aujourd’hui c’est jour de lancement aux Chantiers de la Loire, y règne une agitation inhabituelle. Les accès et espaces intérieurs ont été rangés, nettoyés, et balayés pour l’occasion. Les drapeaux et pavillons flottent dans le vent de ce mois d’avril. La grisaille de cette matinée était simplement égayée par l’air de fête qui se dégage du lieu.

Une tribune st dressée au bout de la cale où repose cette grosse coque vide qui attend le départ. En l’observant telle quelle s’en dégage un air d’inachevé. Tel un nouveau-né qui ne peut ni marcher, ni parler ni vivre seul, notre gros nourrisson n’est pas encore à l’âge adulte. Il faut le finir : « l’armer » pour sa vie personnelle : moteurs, aménagements, et surtout équipage.

L’heure « H », c’est quinze heures. Sur le chantier, le silence se fait peu à peu à l’approche d l’événement. Les invités prennent place  dans la tribune. C’est l’occasion rêvée pour la direction de rassembler dans ce lieu privilégié des personnalités importantes : l’armateur, bien sûr, les représentants des autorités civiles, politiques, militaires voire financières.

C’est ainsi qu’avec quelques collègues, installés aux abords immédiats, nous observons le spectacle de ces personnages portant fièrement l’uniforme, la casquette, le képi, l’écharpe de maire, accompagnés de ces dames, retenant précieusement jupes et grands chapeaux. Tous se congratulent, prenant des airs d’importance en attendant l’instant fatidique.

Manquerait-il quelqu’un pour que la fête puisse commencer ?

En effet, surprise ! Voilà qu’arrive une petite troupe que je n’avais pas encore repérée. Elle s’avance vers nous. C’est le curé de la paroisse, en tenue de chanoine, escorté de son vicaire et de quelques enfants de chœur. Ils se dirigent très dignes vers le pied de la tribune. A leur passage, nous nous écartons, comme il se doit. Un vieux collègue, ne sachant que faire, se fige dans un garde-à-vous respectueux, se décoiffe et se signe. Nous rions sous cape de la surprise qui est la sienne…
Voilà donc, ils vont tout simplement aller réciter quelques prières et procéder au baptême du navire.
Le protocole se poursuit. Nous le suivons de notre poste d’observation. Une dame chapeautée vient briser une bouteille de champagne suspendue à une longue corde. C’est la marraine. La bouteille va se briser sur l’étrave, éclaboussant de mousse cette belle coque sur laquelle on a pris soin de peindre le nom du bateau. Applaudissements, c’est la fin du baptême. Mauvais présage si par hasard la bouteille ne se brise pas…

Le moment crucial approche et le silence se fait. D’où nous nous trouvons, on ne peut voir, mais nous savons que l’ouvrier chargé de la découpe de la tôle qui retient le navire à la cale, est en ce moment à l’œuvre.
Le bateau va-t-il partir ? Voilà, il bouge ! D’abord lentement… puis majestueusement…il va gagner son élément.




C’est fait ! Ce spectacle est beau et grandiose, car pendant ce temps les sirènes des bateaux dans le port saluent le nouvel arrivant. Les spectateurs applaudissent. Le silence se fait, puis le bateau sera amarré au quai d’armement pour être terminé.

En observant bien tous ces visages attentifs, on note toute l’émotion que véhicule un tel événement. La crainte est sous-jacente : y aura-t-il un successeur sur cette cale ? Question récurrente, qui se posera ainsi jusqu’en octobre 1986, date du dernier lancement à NANTES.

Cependant un lancement traditionnel aura lieu le 7 avril 2001, celui d’une péniche conçue pour recevoir des handicapés en fauteuil roulant. Elle sera mise à l’eau sur une des grandes cales restantes Construite dans le cadre d’un chantier d’insertion par l’association « CAP VERT ». A cette occasion, je suis revenu sur le site et l’événement m’a fait revivre bien des souvenirs. Mais cela reste une opération à petite échelle, et quelque peu intimiste, par rapport au passé.







Annexes :



Il est sans doute intéressant de revenir rapidement sur la symbolique du baptême. Pour cela, voici un extrait du glossaire maritime de MICHEL SALVY. « Le « Baptême » vient du mot grec « Baptizein » qui signifie immerger. Il n’y a pas que les petits enfants ou les catéchumènes que l’on plonge dans l’eau selon des rites d’appartenance, mais aussi les navires quand ils rejoignent leur élément : La Mer. Le « Baptême » est donc une cérémonie et une inauguration solennelle au lancement d’un navire. On y retrouve les personnalités apparentées au navire (Armateurs, constructeurs, affréteurs, navigants, etc…), un ou des ministres du culte (Ou du gouvernement !) ainsi qu’une Marraine dont le choix peut relever des plus fines stratégies. L’usage veut qu’en France cette marraine brise une bouteille de champagne sur le brion ou l’étrave du navire en neuvage qui reçoit un nom avant sa mise à l’eau. Le nom de baptême d’un navire marchand - on dit plus simplement son « Baptême » - est inscrit de part et d’autre de son étrave à la proue, et en tableau à la poupe. Le nom du port d’attache ne figure qu’à l’arrière sous le baptême. »

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